Les kakis de Monique

2018
57x29 cm | Vase chinois début XXème cassé en 10 morceau, décor éffacé par sablage, recollage à 1250°C, texte et dessin sérigraphie petit feu (800°C)

Les soirs d’été, Monique dort très mal, son estomac démange,
elle a de la sueur au bout des doigts et une terrible faim qui la dévore de
l’intérieur. Monique pense aux kakis de son jardin,
et à son Robert.

Ils se sont rencontrés dans les années septante, quand il a fertilisé son jardin
pour planter un verger.
Sa pépinière avait les plus grosses plantes du sud-ouest.
Et dans l’import de poteries chinoises, jolies et pas chères, Robert faisait sa
marge.
Monique adorait ses grands vases, son pavillon en était rempli.
Ils arrivaient par Marseille, dans des caisses en bois, protégés
par des tas de feuilles mortes pleines de bestioles crevées.
Vers la fin du siècle, quand Robert est mort, un importateur véreux
a repris l’affaire.
Monique prend soin quotidiennement de leur amour,
et dorlote le plaqueminier.
Maintenant, les cendres de Robert sont sous le kaki, comme promis.
Chaque automne en dévorant ses fruits pleins de soleil, Monique s’apaise, et
noie sa douleur dans les fruits de son Robert.

Été 2003

La chaleur est devenue si forte que les pots de la pépinière
cassent avec le choc thermique de la clim’.
Les feuilles mortes grouillent de bestioles dans les caisses
des poteries, ça dégoute.≠
Le pavillon de Monique, de l’autre côté de l’autoroute, ressemble
à un mirage avec le gaz qui se dégage de l’asphalte.
Ça fait si sec que Monique doit arroser jusqu’à épuisement
pour éviter de perdre toute sa récolte.
Elle fait les cent pas entre le robinet, l’étendoir et les plantes
du jardin. A chaque fois, deux arrosoirs remplis de flotte.
Toute cette eau qu’elle donne à son arbre, elle oublie de la mettre dans sa
bouche.
Morte de chaleur et de fatigue, elle a rejoint Robert
sous le plaqueminier cet été-là.

Elle n’a pas vu ses enfants tomber au sol, elle a été dévorée
par la nuit.
Et ils sont tombés, bien mûrs, cet automne-là, gorgés par le soleil, nappés de
leur couleur orange vif.
Ils ont nourri de nouvelles tueuses, cachées dans les feuilles mortes des
poteries, qui, le coeur gavé de sucre, se sont empressées
de s’enterrer dans la tiédeur du sol, hideuses et repues.

Elles se sont endormies entre Monique et Robert pour l’hiver,
avant de s’étendre vers d’autres arbres, pondre leurs enfants tueurs.